Des rumeurs sur la venue d’un messager éducateur
Les rumeurs abondaient parmi les Gens du Livre sur la venue prochaine d’un prophète. Ces rumeurs étaient non sans fondement. D’abord, les gens étaient habitués à la succession des messagers à des intervalles de temps relativement courts. Il était même fréquent que des prophètes soient contemporains les uns des autres que ce soit dans les mêmes contrées ou dans des contrées voisines. Mais la situation changea après la venue de Jésus si bien que le sixième siècle faillit s’écouler sans qu’un nouveau prophète ne vienne. L’attente de ce réformateur tant attendu était d’autant plus grande que la terre s’était remplie de corruption et d’égarements. Il y avait des gens qui réprouvaient cette ignorance généralisée convoitant cette noble fonction et souhaitant être choisis pour elle.
Parmi eux figurait Umayyah Ibn Abî As-Salt dont la poésie parlait abondamment de Dieu et des qualités qui lui sont dues au point que le Messager - paix et bénédictions de Dieu sur lui - dit : "Umayyah faillit embrasser l’islam." [1] `Amr Ibn Ash-Sharîd rapporte de la part de son père : "Un jour, j’allai voir le Messager de Dieu - paix et bénédictions de Dieu sur lui.
Il me dit : ’Connais-tu quelque chose de la poésie d’Umayyah Ibn Abî As-Salt ?’
- Oui, répondis-je.
- Vas-y (récite), dit-il. Alors, je récitai un vers. Puis, il me demanda de poursuivre si bien que je lui récitai cent vers." [2]
Toutefois, la Destinée Suprême ignora tous ces aspirants parmi les poètes et autres orateurs et confia le grand dépôt à un homme qui n’y aspirait pas et n’y pensait même pas : "Tu n’espérais nullement que le Livre te soit révélé. Ceci n’a été que par une miséricorde de ton Seigneur. Ne sois donc jamais un soutien pour les infidèles" [3]
L’élection pour les grandes missions ne se base pas sur l’ambition mais plutôt sur la capacité de s’en acquitter. Combien nombreux sont les ambitieux ne possèdant que le culot d’espérer ! Et combien nombreux sont les gens de qualité occultés par le silence et qui font des merveilles lorsqu’on leur confie des responsabilités ! La valeur des gens n’est connue que par leur Créateur. Celui qui veut la guidance pour le monde entier choisit pour cette fin grandissime des gens tout aussi grands. Les Arabes du temps de la jâhiliyyah tenaient Mohammad - paix et bénédictions sur lui - en grande estime et respectaient dans sa vie les valeurs nobles qu’il incarnait parfaitement. Mais ils n’imaginaient pas du tout que l’avenir de la vie serait lié à son avenir et que la sagesse abonderait de sa bouche pure, se répandant dans les steppes et les déserts et enjambant les abîmes et les montagnes. Ils ne voyaient de lui que ce que voit l’enfant de la surface de la mer, diverti par le plan calme de ce qui se passe dans les profondeurs lointaines.
L’élection divine de Mohammad se fit par surprise, surprise dont la frayeur se dissipa assez vite. Puis, le dos endurant se stabilisa sous son fardeau et poursuivit sa voie dirigé et soutenu par Dieu. La révélation se poursuivit pendant vingt-trois ans au cours desquelles les versets étaient envoyés en fonction des événements et des circonstances. Cette longue période chargée correspond à la phase de l’instruction et de l’enseignement. Dieu - Glorifié soit-Il - instruisait Son Messager et le Messager recevait ces enseignements en direct, les assimilait, puis les enseignait à son tour aux gens et les y exhortait.
La révélation du Coran selon ce schéma était voulue par le Sage Législateur car le temps est une partie intégrante de la thérapie des esprits, et du traitement de la politique des nations et l’établissement des lois. La cohérence du Coran dans ses finalités et ses sens - malgré la longueur de la période de révélation - peut en soi être considérée comme l’une des dimensions de son inimitabilité. En effet, ses conclusions - au bout d’un quart de siècle - étaient conformes et en harmonie avec ses préliminaires, se confirmant mutuellement et se complétant comme si le tout avait été révélé d’une traite.
Les Arabes s’interrogèrent sur la raison pour laquelle le Coran était révélé de cette façon. "Et ceux qui ne croient pas disent : ‹Pourquoi n’a-t-on pas fait descendre sur lui le Coran en une seule fois ?› Nous l’avons révélé ainsi pour raffermir ton coeur. Et Nous l’avons récité soigneusement. Ils ne t’apporteront aucune parabole, sans que Nous ne t’apportions la vérité avec la meilleure interprétation." [4]
Le Coran explique la réalité de la religion au regard de Dieu et l’historique de cette réalité. Dans son message général, il cite les suspicions qui s’opposent à lui et les réfutent. Il argumente en parfaite connaissance des opinions de ses adversaires. Il poursuit jusqu’au bout toutes les objections formulées à son égard puis les écrase par son argumentation. Le Coran fit ses débuts parmi des gens imprégnés par la mécréance, habitués à la polémique, à croire que le destin avait choisi cet environnement réunissant tout ce qui se fait en matière de doute et le sommum de ce que le faux peut déployer comme défi. Si, dans ces conditions, l’islam était capable de dissiper le doute et de surmonter les obstacles alors plus rien ne saurait l’arrêter !
Les questions qui étaient adressées au Prophète - paix est bénédictions de Dieu sur lui - ou celles que l’on pourrait lui poser sur toutes sortes de croyances et de lois trouvèrent des réponses satisfaisantes dans le Coran, étant entendu que la question ne représente pas le besoin de celui qui la pose uniquement mais le besoin de tout le monde au fil des jours. Dans cette ambiance pleine d’interrogations, pour essayer de comprendre, ou par réprobation, l’inspiration (ilhâm) dirigeait sans cesse le Messager - paix est bénédictions de Dieu sur lui : Dis ceci, dis cela. Les versets commençant par cette injonction en réponse à une question posée ou une question attendue sont de ce fait très nombreux.
À la lecture de ces réponses détaillées, nous sentons un flot de certitude envahir notre cœur comme si elles tranchaient les doutes qui nous harcelaient ou étaient susceptibles de nous harceler. Seul le Message éternel peut établir des liens aussi forts avec la conscience des hommes. Le Coran est un messager vivant. Si nous l’interrogeons, il nous répond et si nous l’écoutons, il nous convainc. Voyons comment il fonde la croyance en la résurrection et au jugement ; comment il rappelle la globalité de la Volonté et de la Puissance tout en répondant à une question posée, et de quelle manière il formule les idées sous la forme d’un dialogue fluide et d’un débat incessant où il défie ses opposants jusqu’à la fin des temps : "L’homme ne voit-il pas que Nous l’avons créé d’une goutte de sperme ? Et le voilà [devenu] un adversaire déclaré ! Il cite pour Nous un exemple, tandis qu’il oublie sa propre création ; il dit : ‹Qui va redonner la vie à des ossements une fois réduits en poussière ?› Dis : ‹Celui qui les a créés une première fois, leur redonnera la vie. Il connaît parfaitement de toute création ; c’est Lui qui, de l’arbre vert, a fait pour vous du feu, et voilà que de cela vous allumez. Celui qui a créé les cieux et la terre ne sera-t-Il pas capable d’en créer des semblables ? Oh que si ! et Il est le grand Créateur, l’Omniscient. Quand Il veut une chose, Son commandement consiste à dire : ‹Sois›, et cela advient." [5]
Il s’agit là d’une parabole basée sur l’observation juste. Elle ne dépend ni du temps ni du lieu car elle s’adresse à la raison dont l’humanité entière est douée. Elle révèle la sagesse de la révélation fragmentaire du Coran étant donné que les versets apportaient des instructions au Messager : Dis telle et telle chose, en réponse aux questions qui lui étaient posées tout au long de ses périples ici ou là pour appeler à Dieu. Puis, la question et la réponse sont conservées en guise de connaissance profitable pour les hommes jusqu’à la fin des temps.
L’injonction "Dis" retint l’attention des savants : il s’agit d’un enseignement dispensé par Dieu à Son Messager, et un enseignement du Messager aux hommes. Cette injonction est suivie de paroles comprenant toutes sortes de conseils, d’exhortations et de règlements que Dieu veut nous prodiguer. Lorsque les païens - comme d’habitude - voulurent déplacer le débat de la réalité de la religion vers la personne du Messager et de ses disciples, la révélation recadra le sujet : "Dis : ‹Que croyez-vous ? Si Allah me faisait périr ainsi que ceux qui sont avec moi ou qu’Il nous fasse miséricorde, qui protégera alors les mécréants d’un châtiment douloureux ?›. Dis : ‹C’est Lui, le Tout Miséricordieux. Nous croyons en Lui et c’est en Lui que nous plaçons notre confiance. Vous saurez bientôt qui est dans un égarement évident›." [6]
Notons comment l’essentiel est démêlé des ténèbres de la polémique ! Qu’est-ce que le sort du Messager et de ses disciples change pour vous ? Pensez plutôt à vous-mêmes : voyez comment les mythes vous ont égaré et vous ont mis en péril. Le Messager de Dieu et ceux qui sont avec lui ne pensent pas à leur propre intérêt ; ce sont des appeleurs au Miséricordieux, ils ont cru en Lui et placé leur confiance en Lui. Si vous le souhaitez, la voie vers le Miséricordieux est maintenant pavée !
Il n’est pas nécessaire qu’une question soit posée lorsque la parole venant de Dieu commence par "Dis". En effet, le discours peut débuter de cette manière lors de l’exposition des fondements de l’Appel (da`wah) et des règles de bonne conduite qui le régissent et ce, pour faire connaître l’islam et son prophète amplement et de manière convaincante éradiquant le doute avant même qu’il ne naisse : "Dis : ‹Moi, mon Seigneur m’a guidé vers un chemin droit, une religion droite, la religion d’Abraham, le soumis exclusivement à Allah et qui n’était point parmi les associateurs. Dis : ‹En vérité, ma prière, mes actes de dévotion, ma vie et ma mort appartiennent à Allah, Seigneur de l’Univers. A Lui nul associé ! Et voilà ce qu’il m’a été ordonné, et je suis le premier à me soumettre.› Dis : ‹Chercherais-je un autre Seigneur qu’Allah, alors qu’Il est le Seigneur de toute chose ? Chacun n’acquiert [le mal] qu’à son détriment : personne ne portera le fardeau (responsabilité) d’autrui. [...]" [7]
Ce discours adressé au Messager comprend une injonction à tout être humain, de son époque ou des époques suivantes, de méditer - avec sa raison - le message qui lui est révélé, et de juger en son âme et conscience de la véridicité et de la sincérité du message. Si une foi pénètre son cœur, il s’agit de la foi au Seigneur de toute chose et le rôle du Messager s’achève là. Son rôle prend fin lorsque la raison et le cœur sont liés à leur Créateur et que le droit chemin qui y mène est clair. A chacun incombe ensuite la responsabilité de faire le bien ou de commettre le mal. Le Messager - paix et bénédiction de Dieu sur lui - n’est ni un intermédiaire qui t’apporterait un bien que tu aurais accompli, ni un sacrifice qui écarterait de toi un châtiment que tu aurais mérité car chacun n’acquiert le mal qu’à son détriment et personne ne portera le fardeau d’autrui... Sur ce plan, apparait l’importance de la distance séparant le christianisme et l’islam.
L’islam renchérit la valeur de l’homme et lui donne son juste salaire pour les actes nobles comme pour les actes vils. En revanche, dans le christianisme, la place de l’individu est telle qu’il ne peut se lier au Seigneur des Mondes de son propre chef. Il lui faut un intermédiaire qui porte son sacrifice et accepte son repentir. Mais quel est cet intermédiaire ? Un prétendant ! Lorsque l’on pèche, ce n’est pas lui qui est châtié. Le sacrifice a été immolé il y a longtemps pour ses péchés et on lui demande seulement d’y croire pour être sauvé, si tant est qu’il veut le salut !
Ce tâtonnement nécessite des locomotives puissantes pour avancer dans la vie en dépit du bon sens et de la justice. En revanche, en islam, Dieu dit à Son Prophète - paix et bénédiction de Dieu sur lui - une parole qui ouvre les yeux et les esprits : "Dis : ‹Qui est le Seigneur des cieux et de la terre ?› Dis : ‹C’est Allah›. Dis : ‹Et prendrez-vous en dehors de Lui, des maîtres qui ne détiennent pour eux-mêmes ni profit ni dommage ? L’aveugle est-il semblable à celui qui voit ? Les ténèbres sont elles égales à la lumière ? Ou bien donnent-ils à Allah des associés qui auraient créé comme ce que Lui a créé au point que les deux créations se confondent pour eux ? Dis : ‹Allah est le Créateur de toute chose, Il est l’Unique, le Dominateur suprême ! ›" [8] Ces interrogations successives sont autant de fouets qui frappent le faux. Elles réveillent les cerveaux assoupis et incitent l’homme à adhérer à la vérité et à s’élever avec elle. Tel était le message annoncé et appliqué par le Prophète de l’islam.
Dans ses débuts, l’islam rencontra une résistance extrêmement violente de la part de l’idolâtrie qui prédominait à l’époque. Cette dernière ne rendit pas les armes après une bataille ou deux. Non, elle lutta désespérément pour chaque empan de terre. On pensait que ses forces s’étaient effondrées une fois que le Messager avait accompli sa mission et s’en était retourné auprès du Compagnon Suprême. Mais la péninsule arabique toute entière eut un soubresaut sous le caliphat d’Abû Bakr et les musulmans se trouvèrent au milieu d’un torent d’apostasie aveugle qu’ils combattirent de nouveau. Ils le vainquirent non sans essuyer des pertes plus importantes que celles essuyées du vivant du Prophète - paix et bénédictions de Dieu sur lui - dans sa lutte contre ces associateurs.
Les hommes qui s’accrochèrent fermement à la vérité après le départ de leur prophète sont les musulmans véridiques car l’islam lie les hommes à des principes et non à des individus. Par conséquent, Dieu enseigna à Son Prophète et, par l’intermédiaire de ce dernier, Il enseigna aux musulmans de s’attacher à la vérité qu’ils connaissaient et de s’y accrocher quand bien même on les combattrait et leur déclarerait la guerre.
Le monde ici-bas est plein de moyens d’égarement. Il essaye avant tout de ne laisser en son sein aucune place à la foi. Lorsque la foi remporte une victoire après de longues peines, le monde ici-bas tente de l’amadouer afin qu’elle concède une chose et se *******e d’autre chose. Si le monde ici-bas réussit à piéger la foi progressivement, il serait en mesure de lui porter un coup fatal. Aussi les commandements de Dieu dans Son Livre stipulant que la foi est un tout non fractionnable furent-ils décisifs. La lutte avec les mécréants concernant cette vérité ne doit s’apaiser. Par conséquent, il est impératif de s’attacher à ces enseignements intimement liés ! Sur ces enseignements se fondent l’amour et la haine comme la paix et la guerre car la part de l’émotion dans le service du credo est aussi importante que la part de la raison.
Les versets relatifs à ce sujet sont autant de commandements aux musulmans sous la forme de discours adressé au Prophète - paix et bénédictions sur lui : "Ô Prophète ! Crains Allah et n’obéis pas aux infidèles et aux hypocrites, car Allah demeure Omniscient et Sage. Et suis ce qui t’est révélé émanant de Ton Seigneur. Car Allah est Parfaitement Connaisseur de ce que vous faites. Et place ta confiance en Allah. Allah te suffit comme protecteur." [9] Le Prophète - paix et bénédiction sur lui - n’est pas sujet à une quelconque velléité d’obéir aux infidèles ou aux hypocrites pour qu’une mise en garde lui soit adressée. Ce sont bien nous qui sommes les destinataires de ces instructions.
De même : "[...] Appelle les gens vers ton Seigneur et ne sois point du nombre des Associateurs. Et n’invoque nulle autre divinité avec Allah. [...]" [10] Or, le Messager - paix et bénédictions sur lui - déclara la guerre à l’associationnisme et aux idoles dès le début de sa mission. Il enseigna cet antagonisme aux gens et l’on ne peut s’attendre à rien d’autre de sa part.
Et aussi : "Ne regarde pas avec envie les choses dont Nous avons donné jouissance temporaire à certains couples d’entre eux, ne t’afflige pas à leur sujet et abaisse ton aile pour les croyants." [11] "[...] Et n’obéis pas à celui dont Nous avons rendu le cœur inattentif à Notre Rappel, qui poursuit sa passion et dont le comportement est outrancier. Et dis : ‹La vérité émane de votre Seigneur›.[...]" [12] "Et si tu es en doute sur ce que Nous avons fait descendre vers toi, interroge alors ceux qui lisent le Livre révélé avant toi. La vérité certes t’est venue de ton Seigneur : ne sois donc point de ceux qui doutent. Et ne sois point de ceux qui traitent de mensonge les versets d’Allah. Tu serais alors du nombre des perdants." [13]
Les exégètes dirent : On s’est adressé à l’Ummah dans la personne de son Prophète tout comme les ordres sont donnés au commandant alors que ce sont les soldats qui exécutent. On dit aussi : C’est le Prophète - paix et bénédiction sur lui - qui est le destinataire du discours car cela émule les fidèles et stimule leurs énergies. En effet, on dit au fort dont la détermination est apparente : "ne faiblis pas ", et au sage en possession de ses esprits : "ne sois pas étourdi" alors que l’on ne craint pas pour eux la faiblesse ni l’étourderie. Cela vise simplement à les inciter à rester forts et alertes. Le courageux défie davantage la mort lorsqu’on lui dit de ne pas se laisser gagner par la peur...
Quelle que soit l’interprétation retenue, le Messager - paix et bénédictions sur lui - est le modèle par excellence, et sa conduite reste exemplaire pour les gens. Il reçut l’ordre, et nous à son instar, de se méfier des égarés, de s’éloigner de leurs moeurs et de leurs oeuvres et de dédaigner les bien qu’ils ont amassés et leur vanité. En fait, il arrive souvent que la vérité faiblisse et il devient difficle de s’y accrocher et que le faux se fortifie et les tentations de se lier d’amitié avec lui ou de faire la paix avec lui se multiplient. Il est par conséquent naturel que les croyances exigent de la part de leurs adeptes qu’ils veillent à renforcer leurs rangs et s’insurgent de tout ce qui leur porterait atteinte même de loin.
Il n’est donc pas étonnant que les commandements qui régissent ces sentiments ne soient pas dépourvus de fermeté. D’ailleurs, y aurait-il plus ferme que lorsque Dieu s’adresse à Son Prophète disant : "[...] ‹Si tu donnes des associés à Allah, ton oeuvre sera certes vaine ; et tu seras très certainement du nombre des perdants. Tout au contraire, adore Allah seul et sois du nombre des reconnaissants›." [14] Cette parole percute notre ouïe à dessein. Ce style indirect a pour effet de rallier des musulmans contre la corruption et de les inciter à ne jamais baisser leur garde et encore moins de tomber dans la corruption.
Les propos des exégèses susmentionnés valent également pour le verset "Et si tu es en doute sur ce que Nous avons fait descendre vers toi, interroge alors ceux qui lisent le Livre révélé avant toi. La vérité certes t’est venue de ton Seigneur : ne sois donc point de ceux qui doutent. Et ne sois point de ceux qui traitent de mensonge les versets d’Allah." [15] Le discours s’adresse au lecteur ou à celui qui l’entend ou au Messager - paix et bénédictions sur lui - en personne à titre d’émulation et d’incitation comme nous l’avons précisé car, en réalité, le Messager - paix et bénédictions sur lui - n’a point douté au sujet de sa mission prophétique. Il s’agit simplement de supposer l’impossible comme dans le verset : "Dis : si le Miséricordieux avait un enfant, je serais le premier à l’adorer." [16]
Mais pourquoi interroger les gens du Livre ? Les exégètes dirent qu’il s’agit d’interroger les justes parmi eux, ceux qui ne taisent pas le témoignage de la vérité lorsqu’on les sollicite. Pour ma part, les justes et véridiques parmi les gens du Livre sont une minorité qui ne peut servir d’argument et, par conséquent, je ne pense pas qu’ils soient visés par le verset. En revanche, on s’aperçoit mieux de la valeur du bien que l’on possède lorsqu’on voit la confusion dans laquelle vivent les autres. Si tu doutes un instant que le Coran émane de Dieu et que tu feuillettes les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, tu t’empresseras de retourner à ton Livre pour t’y accrocher et tu loueras Dieu mille fois pour t’avoir guidé !
Il me semble que c’est ce qui est entendu par ce verset dans la mesure où la vérité que comporte l’islam est d’autant plus manifeste que les autres religions ont subi des altérations. De plus, ceci est conforme à la parole du Très Haut : "[...] Mais si tu suis leurs passions après la part de science que tu as reçu, tu n’auras contre Allah ni protecteur ni secoureur." [17] Notre compréhension de ce noble verset est appuyée par le hadîth rapporté par Al-Bukhârî selon Ibn `Abbâs : "Ô Musulmans ! Comment interrogez-vous les gens du Livre alors que votre Livre, révélé à votre prophète, est le Livre divin le plus récent et que vous le récitez comme s’il venait d’être fraichement révélé ? De plus, Allâh vous a informé que les gens du Livre ont altéré et modifié le Livre d’Allâh et l’ont rédigé de leur propre mains puis ont prétendu qu’il émanait d’Allâh pour obtenir ainsi un vil prix. La science que vous ave reçue ne vous défend-elle pas de les interroger ? Par Allâh, nous n’avons jamais vu personne parmi eux vous interroger sur ce qui vous a été révélé !"
L’islam, sur le plan rationnel, consiste à connaître la vérité, et sur le plan affectif, il consiste à aimer la vérité et à l’honorer et à détester le faux et s’y opposer ouvertement. Il y a des gens à sang froid qui avancent une opinion et son contraire ! Ceci est concevable dans les questions futiles. Mais, ce n’est pas du tout le cas en ce qui concerne la foi et l’athéisme, l’immoralité et la dignité...
Dieu enseigna à Son Messager le Livre et la Foi si bien qu’en guise de reconnaissance de la part du Messager - paix et bénédictions sur lui - de ce bienfait divin, celui-ci garda sa Foi et honora son Coran ; il vécut par eux et pour eux, se battit et fit la paix pour eux. Ses ennemis aurait tant souhaité qu’il leur fasse la moindre concession mais en vain ! "Ils aimeraient bien que tu transiges avec eux afin qu’ils transigent avec toi." [18] La nation (ummah) qui mérite de s’en réclamer est celle qui lutte pour la vérité et ne permet pas qu’elle soit outrepassée. Cette nation se caractérise aussi par une idée et une méthodologie. Elle se fonde matériellement et moralement sur les efforts qu’elle fournit dans ce sens et les fruits qu’elle fait pousser.
A suivre...
Traduit de l’arabe du livre de Sheikh Muhammad Al-Ghazâlî
intitulé Fiqh As-Sîrah, éditions Ar-Rayyân Lit-Turâth, première édition, Le Caire - Égypte, 1987.
[1] Hadîth authentique rapporté par Muslim (7/49), Ibn Mâjah (2/410) selon Abû Hurayrah et également selon Ash-Sharîd. Ce hadîth constitue la fin du hadîth suivant.
[2] Hadîth authentique rapporté par Muslim et Ibn Mâjah.
[3] Sourate 28, Le Récit, verset 86.
[4] sourate 25, Le Discernement, versets 32-33.
[5] Sourate 36, Yâ sîn, versets 77 à 82.
[6] Sourate 67, La Royauté, versets 28 - 29.
[7] Sourate 5, Les Bestiaux, versets 161 - 164.
[8] Sourate 13, Le Tonnerre, verset 16.
[9] Sourate 33, Les Coalisés, versets 1 - 3.
[10] Sourate 28, Le Récit, versets 87 - 88.
[11] Sourate 15, Al-Hijr, verset 88.
[12] Sourate 18, La Caverne, versets 28 - 29.
[13] Sourate 10, Jonas (Yûnus), versets 94 - 95.
[14] Sourate 39, Les Groupes, versets 65 - 66.
[15] Sourate 10, Jonas (Yûnus), versets 94 - 95.
[16] Sourate 43, L’Ornement, verset 81.
[17] Sourate 2, La Génisse, verset 120.
[18] Sourate 68, La Plume, verset 9.
Les rumeurs abondaient parmi les Gens du Livre sur la venue prochaine d’un prophète. Ces rumeurs étaient non sans fondement. D’abord, les gens étaient habitués à la succession des messagers à des intervalles de temps relativement courts. Il était même fréquent que des prophètes soient contemporains les uns des autres que ce soit dans les mêmes contrées ou dans des contrées voisines. Mais la situation changea après la venue de Jésus si bien que le sixième siècle faillit s’écouler sans qu’un nouveau prophète ne vienne. L’attente de ce réformateur tant attendu était d’autant plus grande que la terre s’était remplie de corruption et d’égarements. Il y avait des gens qui réprouvaient cette ignorance généralisée convoitant cette noble fonction et souhaitant être choisis pour elle.
Parmi eux figurait Umayyah Ibn Abî As-Salt dont la poésie parlait abondamment de Dieu et des qualités qui lui sont dues au point que le Messager - paix et bénédictions de Dieu sur lui - dit : "Umayyah faillit embrasser l’islam." [1] `Amr Ibn Ash-Sharîd rapporte de la part de son père : "Un jour, j’allai voir le Messager de Dieu - paix et bénédictions de Dieu sur lui.
Il me dit : ’Connais-tu quelque chose de la poésie d’Umayyah Ibn Abî As-Salt ?’
- Oui, répondis-je.
- Vas-y (récite), dit-il. Alors, je récitai un vers. Puis, il me demanda de poursuivre si bien que je lui récitai cent vers." [2]
Toutefois, la Destinée Suprême ignora tous ces aspirants parmi les poètes et autres orateurs et confia le grand dépôt à un homme qui n’y aspirait pas et n’y pensait même pas : "Tu n’espérais nullement que le Livre te soit révélé. Ceci n’a été que par une miséricorde de ton Seigneur. Ne sois donc jamais un soutien pour les infidèles" [3]
L’élection pour les grandes missions ne se base pas sur l’ambition mais plutôt sur la capacité de s’en acquitter. Combien nombreux sont les ambitieux ne possèdant que le culot d’espérer ! Et combien nombreux sont les gens de qualité occultés par le silence et qui font des merveilles lorsqu’on leur confie des responsabilités ! La valeur des gens n’est connue que par leur Créateur. Celui qui veut la guidance pour le monde entier choisit pour cette fin grandissime des gens tout aussi grands. Les Arabes du temps de la jâhiliyyah tenaient Mohammad - paix et bénédictions sur lui - en grande estime et respectaient dans sa vie les valeurs nobles qu’il incarnait parfaitement. Mais ils n’imaginaient pas du tout que l’avenir de la vie serait lié à son avenir et que la sagesse abonderait de sa bouche pure, se répandant dans les steppes et les déserts et enjambant les abîmes et les montagnes. Ils ne voyaient de lui que ce que voit l’enfant de la surface de la mer, diverti par le plan calme de ce qui se passe dans les profondeurs lointaines.
L’élection divine de Mohammad se fit par surprise, surprise dont la frayeur se dissipa assez vite. Puis, le dos endurant se stabilisa sous son fardeau et poursuivit sa voie dirigé et soutenu par Dieu. La révélation se poursuivit pendant vingt-trois ans au cours desquelles les versets étaient envoyés en fonction des événements et des circonstances. Cette longue période chargée correspond à la phase de l’instruction et de l’enseignement. Dieu - Glorifié soit-Il - instruisait Son Messager et le Messager recevait ces enseignements en direct, les assimilait, puis les enseignait à son tour aux gens et les y exhortait.
La révélation du Coran selon ce schéma était voulue par le Sage Législateur car le temps est une partie intégrante de la thérapie des esprits, et du traitement de la politique des nations et l’établissement des lois. La cohérence du Coran dans ses finalités et ses sens - malgré la longueur de la période de révélation - peut en soi être considérée comme l’une des dimensions de son inimitabilité. En effet, ses conclusions - au bout d’un quart de siècle - étaient conformes et en harmonie avec ses préliminaires, se confirmant mutuellement et se complétant comme si le tout avait été révélé d’une traite.
Les Arabes s’interrogèrent sur la raison pour laquelle le Coran était révélé de cette façon. "Et ceux qui ne croient pas disent : ‹Pourquoi n’a-t-on pas fait descendre sur lui le Coran en une seule fois ?› Nous l’avons révélé ainsi pour raffermir ton coeur. Et Nous l’avons récité soigneusement. Ils ne t’apporteront aucune parabole, sans que Nous ne t’apportions la vérité avec la meilleure interprétation." [4]
Le Coran explique la réalité de la religion au regard de Dieu et l’historique de cette réalité. Dans son message général, il cite les suspicions qui s’opposent à lui et les réfutent. Il argumente en parfaite connaissance des opinions de ses adversaires. Il poursuit jusqu’au bout toutes les objections formulées à son égard puis les écrase par son argumentation. Le Coran fit ses débuts parmi des gens imprégnés par la mécréance, habitués à la polémique, à croire que le destin avait choisi cet environnement réunissant tout ce qui se fait en matière de doute et le sommum de ce que le faux peut déployer comme défi. Si, dans ces conditions, l’islam était capable de dissiper le doute et de surmonter les obstacles alors plus rien ne saurait l’arrêter !
Les questions qui étaient adressées au Prophète - paix est bénédictions de Dieu sur lui - ou celles que l’on pourrait lui poser sur toutes sortes de croyances et de lois trouvèrent des réponses satisfaisantes dans le Coran, étant entendu que la question ne représente pas le besoin de celui qui la pose uniquement mais le besoin de tout le monde au fil des jours. Dans cette ambiance pleine d’interrogations, pour essayer de comprendre, ou par réprobation, l’inspiration (ilhâm) dirigeait sans cesse le Messager - paix est bénédictions de Dieu sur lui : Dis ceci, dis cela. Les versets commençant par cette injonction en réponse à une question posée ou une question attendue sont de ce fait très nombreux.
À la lecture de ces réponses détaillées, nous sentons un flot de certitude envahir notre cœur comme si elles tranchaient les doutes qui nous harcelaient ou étaient susceptibles de nous harceler. Seul le Message éternel peut établir des liens aussi forts avec la conscience des hommes. Le Coran est un messager vivant. Si nous l’interrogeons, il nous répond et si nous l’écoutons, il nous convainc. Voyons comment il fonde la croyance en la résurrection et au jugement ; comment il rappelle la globalité de la Volonté et de la Puissance tout en répondant à une question posée, et de quelle manière il formule les idées sous la forme d’un dialogue fluide et d’un débat incessant où il défie ses opposants jusqu’à la fin des temps : "L’homme ne voit-il pas que Nous l’avons créé d’une goutte de sperme ? Et le voilà [devenu] un adversaire déclaré ! Il cite pour Nous un exemple, tandis qu’il oublie sa propre création ; il dit : ‹Qui va redonner la vie à des ossements une fois réduits en poussière ?› Dis : ‹Celui qui les a créés une première fois, leur redonnera la vie. Il connaît parfaitement de toute création ; c’est Lui qui, de l’arbre vert, a fait pour vous du feu, et voilà que de cela vous allumez. Celui qui a créé les cieux et la terre ne sera-t-Il pas capable d’en créer des semblables ? Oh que si ! et Il est le grand Créateur, l’Omniscient. Quand Il veut une chose, Son commandement consiste à dire : ‹Sois›, et cela advient." [5]
Il s’agit là d’une parabole basée sur l’observation juste. Elle ne dépend ni du temps ni du lieu car elle s’adresse à la raison dont l’humanité entière est douée. Elle révèle la sagesse de la révélation fragmentaire du Coran étant donné que les versets apportaient des instructions au Messager : Dis telle et telle chose, en réponse aux questions qui lui étaient posées tout au long de ses périples ici ou là pour appeler à Dieu. Puis, la question et la réponse sont conservées en guise de connaissance profitable pour les hommes jusqu’à la fin des temps.
L’injonction "Dis" retint l’attention des savants : il s’agit d’un enseignement dispensé par Dieu à Son Messager, et un enseignement du Messager aux hommes. Cette injonction est suivie de paroles comprenant toutes sortes de conseils, d’exhortations et de règlements que Dieu veut nous prodiguer. Lorsque les païens - comme d’habitude - voulurent déplacer le débat de la réalité de la religion vers la personne du Messager et de ses disciples, la révélation recadra le sujet : "Dis : ‹Que croyez-vous ? Si Allah me faisait périr ainsi que ceux qui sont avec moi ou qu’Il nous fasse miséricorde, qui protégera alors les mécréants d’un châtiment douloureux ?›. Dis : ‹C’est Lui, le Tout Miséricordieux. Nous croyons en Lui et c’est en Lui que nous plaçons notre confiance. Vous saurez bientôt qui est dans un égarement évident›." [6]
Notons comment l’essentiel est démêlé des ténèbres de la polémique ! Qu’est-ce que le sort du Messager et de ses disciples change pour vous ? Pensez plutôt à vous-mêmes : voyez comment les mythes vous ont égaré et vous ont mis en péril. Le Messager de Dieu et ceux qui sont avec lui ne pensent pas à leur propre intérêt ; ce sont des appeleurs au Miséricordieux, ils ont cru en Lui et placé leur confiance en Lui. Si vous le souhaitez, la voie vers le Miséricordieux est maintenant pavée !
Il n’est pas nécessaire qu’une question soit posée lorsque la parole venant de Dieu commence par "Dis". En effet, le discours peut débuter de cette manière lors de l’exposition des fondements de l’Appel (da`wah) et des règles de bonne conduite qui le régissent et ce, pour faire connaître l’islam et son prophète amplement et de manière convaincante éradiquant le doute avant même qu’il ne naisse : "Dis : ‹Moi, mon Seigneur m’a guidé vers un chemin droit, une religion droite, la religion d’Abraham, le soumis exclusivement à Allah et qui n’était point parmi les associateurs. Dis : ‹En vérité, ma prière, mes actes de dévotion, ma vie et ma mort appartiennent à Allah, Seigneur de l’Univers. A Lui nul associé ! Et voilà ce qu’il m’a été ordonné, et je suis le premier à me soumettre.› Dis : ‹Chercherais-je un autre Seigneur qu’Allah, alors qu’Il est le Seigneur de toute chose ? Chacun n’acquiert [le mal] qu’à son détriment : personne ne portera le fardeau (responsabilité) d’autrui. [...]" [7]
Ce discours adressé au Messager comprend une injonction à tout être humain, de son époque ou des époques suivantes, de méditer - avec sa raison - le message qui lui est révélé, et de juger en son âme et conscience de la véridicité et de la sincérité du message. Si une foi pénètre son cœur, il s’agit de la foi au Seigneur de toute chose et le rôle du Messager s’achève là. Son rôle prend fin lorsque la raison et le cœur sont liés à leur Créateur et que le droit chemin qui y mène est clair. A chacun incombe ensuite la responsabilité de faire le bien ou de commettre le mal. Le Messager - paix et bénédiction de Dieu sur lui - n’est ni un intermédiaire qui t’apporterait un bien que tu aurais accompli, ni un sacrifice qui écarterait de toi un châtiment que tu aurais mérité car chacun n’acquiert le mal qu’à son détriment et personne ne portera le fardeau d’autrui... Sur ce plan, apparait l’importance de la distance séparant le christianisme et l’islam.
L’islam renchérit la valeur de l’homme et lui donne son juste salaire pour les actes nobles comme pour les actes vils. En revanche, dans le christianisme, la place de l’individu est telle qu’il ne peut se lier au Seigneur des Mondes de son propre chef. Il lui faut un intermédiaire qui porte son sacrifice et accepte son repentir. Mais quel est cet intermédiaire ? Un prétendant ! Lorsque l’on pèche, ce n’est pas lui qui est châtié. Le sacrifice a été immolé il y a longtemps pour ses péchés et on lui demande seulement d’y croire pour être sauvé, si tant est qu’il veut le salut !
Ce tâtonnement nécessite des locomotives puissantes pour avancer dans la vie en dépit du bon sens et de la justice. En revanche, en islam, Dieu dit à Son Prophète - paix et bénédiction de Dieu sur lui - une parole qui ouvre les yeux et les esprits : "Dis : ‹Qui est le Seigneur des cieux et de la terre ?› Dis : ‹C’est Allah›. Dis : ‹Et prendrez-vous en dehors de Lui, des maîtres qui ne détiennent pour eux-mêmes ni profit ni dommage ? L’aveugle est-il semblable à celui qui voit ? Les ténèbres sont elles égales à la lumière ? Ou bien donnent-ils à Allah des associés qui auraient créé comme ce que Lui a créé au point que les deux créations se confondent pour eux ? Dis : ‹Allah est le Créateur de toute chose, Il est l’Unique, le Dominateur suprême ! ›" [8] Ces interrogations successives sont autant de fouets qui frappent le faux. Elles réveillent les cerveaux assoupis et incitent l’homme à adhérer à la vérité et à s’élever avec elle. Tel était le message annoncé et appliqué par le Prophète de l’islam.
Dans ses débuts, l’islam rencontra une résistance extrêmement violente de la part de l’idolâtrie qui prédominait à l’époque. Cette dernière ne rendit pas les armes après une bataille ou deux. Non, elle lutta désespérément pour chaque empan de terre. On pensait que ses forces s’étaient effondrées une fois que le Messager avait accompli sa mission et s’en était retourné auprès du Compagnon Suprême. Mais la péninsule arabique toute entière eut un soubresaut sous le caliphat d’Abû Bakr et les musulmans se trouvèrent au milieu d’un torent d’apostasie aveugle qu’ils combattirent de nouveau. Ils le vainquirent non sans essuyer des pertes plus importantes que celles essuyées du vivant du Prophète - paix et bénédictions de Dieu sur lui - dans sa lutte contre ces associateurs.
Les hommes qui s’accrochèrent fermement à la vérité après le départ de leur prophète sont les musulmans véridiques car l’islam lie les hommes à des principes et non à des individus. Par conséquent, Dieu enseigna à Son Prophète et, par l’intermédiaire de ce dernier, Il enseigna aux musulmans de s’attacher à la vérité qu’ils connaissaient et de s’y accrocher quand bien même on les combattrait et leur déclarerait la guerre.
Le monde ici-bas est plein de moyens d’égarement. Il essaye avant tout de ne laisser en son sein aucune place à la foi. Lorsque la foi remporte une victoire après de longues peines, le monde ici-bas tente de l’amadouer afin qu’elle concède une chose et se *******e d’autre chose. Si le monde ici-bas réussit à piéger la foi progressivement, il serait en mesure de lui porter un coup fatal. Aussi les commandements de Dieu dans Son Livre stipulant que la foi est un tout non fractionnable furent-ils décisifs. La lutte avec les mécréants concernant cette vérité ne doit s’apaiser. Par conséquent, il est impératif de s’attacher à ces enseignements intimement liés ! Sur ces enseignements se fondent l’amour et la haine comme la paix et la guerre car la part de l’émotion dans le service du credo est aussi importante que la part de la raison.
Les versets relatifs à ce sujet sont autant de commandements aux musulmans sous la forme de discours adressé au Prophète - paix et bénédictions sur lui : "Ô Prophète ! Crains Allah et n’obéis pas aux infidèles et aux hypocrites, car Allah demeure Omniscient et Sage. Et suis ce qui t’est révélé émanant de Ton Seigneur. Car Allah est Parfaitement Connaisseur de ce que vous faites. Et place ta confiance en Allah. Allah te suffit comme protecteur." [9] Le Prophète - paix et bénédiction sur lui - n’est pas sujet à une quelconque velléité d’obéir aux infidèles ou aux hypocrites pour qu’une mise en garde lui soit adressée. Ce sont bien nous qui sommes les destinataires de ces instructions.
De même : "[...] Appelle les gens vers ton Seigneur et ne sois point du nombre des Associateurs. Et n’invoque nulle autre divinité avec Allah. [...]" [10] Or, le Messager - paix et bénédictions sur lui - déclara la guerre à l’associationnisme et aux idoles dès le début de sa mission. Il enseigna cet antagonisme aux gens et l’on ne peut s’attendre à rien d’autre de sa part.
Et aussi : "Ne regarde pas avec envie les choses dont Nous avons donné jouissance temporaire à certains couples d’entre eux, ne t’afflige pas à leur sujet et abaisse ton aile pour les croyants." [11] "[...] Et n’obéis pas à celui dont Nous avons rendu le cœur inattentif à Notre Rappel, qui poursuit sa passion et dont le comportement est outrancier. Et dis : ‹La vérité émane de votre Seigneur›.[...]" [12] "Et si tu es en doute sur ce que Nous avons fait descendre vers toi, interroge alors ceux qui lisent le Livre révélé avant toi. La vérité certes t’est venue de ton Seigneur : ne sois donc point de ceux qui doutent. Et ne sois point de ceux qui traitent de mensonge les versets d’Allah. Tu serais alors du nombre des perdants." [13]
Les exégètes dirent : On s’est adressé à l’Ummah dans la personne de son Prophète tout comme les ordres sont donnés au commandant alors que ce sont les soldats qui exécutent. On dit aussi : C’est le Prophète - paix et bénédiction sur lui - qui est le destinataire du discours car cela émule les fidèles et stimule leurs énergies. En effet, on dit au fort dont la détermination est apparente : "ne faiblis pas ", et au sage en possession de ses esprits : "ne sois pas étourdi" alors que l’on ne craint pas pour eux la faiblesse ni l’étourderie. Cela vise simplement à les inciter à rester forts et alertes. Le courageux défie davantage la mort lorsqu’on lui dit de ne pas se laisser gagner par la peur...
Quelle que soit l’interprétation retenue, le Messager - paix et bénédictions sur lui - est le modèle par excellence, et sa conduite reste exemplaire pour les gens. Il reçut l’ordre, et nous à son instar, de se méfier des égarés, de s’éloigner de leurs moeurs et de leurs oeuvres et de dédaigner les bien qu’ils ont amassés et leur vanité. En fait, il arrive souvent que la vérité faiblisse et il devient difficle de s’y accrocher et que le faux se fortifie et les tentations de se lier d’amitié avec lui ou de faire la paix avec lui se multiplient. Il est par conséquent naturel que les croyances exigent de la part de leurs adeptes qu’ils veillent à renforcer leurs rangs et s’insurgent de tout ce qui leur porterait atteinte même de loin.
Il n’est donc pas étonnant que les commandements qui régissent ces sentiments ne soient pas dépourvus de fermeté. D’ailleurs, y aurait-il plus ferme que lorsque Dieu s’adresse à Son Prophète disant : "[...] ‹Si tu donnes des associés à Allah, ton oeuvre sera certes vaine ; et tu seras très certainement du nombre des perdants. Tout au contraire, adore Allah seul et sois du nombre des reconnaissants›." [14] Cette parole percute notre ouïe à dessein. Ce style indirect a pour effet de rallier des musulmans contre la corruption et de les inciter à ne jamais baisser leur garde et encore moins de tomber dans la corruption.
Les propos des exégèses susmentionnés valent également pour le verset "Et si tu es en doute sur ce que Nous avons fait descendre vers toi, interroge alors ceux qui lisent le Livre révélé avant toi. La vérité certes t’est venue de ton Seigneur : ne sois donc point de ceux qui doutent. Et ne sois point de ceux qui traitent de mensonge les versets d’Allah." [15] Le discours s’adresse au lecteur ou à celui qui l’entend ou au Messager - paix et bénédictions sur lui - en personne à titre d’émulation et d’incitation comme nous l’avons précisé car, en réalité, le Messager - paix et bénédictions sur lui - n’a point douté au sujet de sa mission prophétique. Il s’agit simplement de supposer l’impossible comme dans le verset : "Dis : si le Miséricordieux avait un enfant, je serais le premier à l’adorer." [16]
Mais pourquoi interroger les gens du Livre ? Les exégètes dirent qu’il s’agit d’interroger les justes parmi eux, ceux qui ne taisent pas le témoignage de la vérité lorsqu’on les sollicite. Pour ma part, les justes et véridiques parmi les gens du Livre sont une minorité qui ne peut servir d’argument et, par conséquent, je ne pense pas qu’ils soient visés par le verset. En revanche, on s’aperçoit mieux de la valeur du bien que l’on possède lorsqu’on voit la confusion dans laquelle vivent les autres. Si tu doutes un instant que le Coran émane de Dieu et que tu feuillettes les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, tu t’empresseras de retourner à ton Livre pour t’y accrocher et tu loueras Dieu mille fois pour t’avoir guidé !
Il me semble que c’est ce qui est entendu par ce verset dans la mesure où la vérité que comporte l’islam est d’autant plus manifeste que les autres religions ont subi des altérations. De plus, ceci est conforme à la parole du Très Haut : "[...] Mais si tu suis leurs passions après la part de science que tu as reçu, tu n’auras contre Allah ni protecteur ni secoureur." [17] Notre compréhension de ce noble verset est appuyée par le hadîth rapporté par Al-Bukhârî selon Ibn `Abbâs : "Ô Musulmans ! Comment interrogez-vous les gens du Livre alors que votre Livre, révélé à votre prophète, est le Livre divin le plus récent et que vous le récitez comme s’il venait d’être fraichement révélé ? De plus, Allâh vous a informé que les gens du Livre ont altéré et modifié le Livre d’Allâh et l’ont rédigé de leur propre mains puis ont prétendu qu’il émanait d’Allâh pour obtenir ainsi un vil prix. La science que vous ave reçue ne vous défend-elle pas de les interroger ? Par Allâh, nous n’avons jamais vu personne parmi eux vous interroger sur ce qui vous a été révélé !"
L’islam, sur le plan rationnel, consiste à connaître la vérité, et sur le plan affectif, il consiste à aimer la vérité et à l’honorer et à détester le faux et s’y opposer ouvertement. Il y a des gens à sang froid qui avancent une opinion et son contraire ! Ceci est concevable dans les questions futiles. Mais, ce n’est pas du tout le cas en ce qui concerne la foi et l’athéisme, l’immoralité et la dignité...
Dieu enseigna à Son Messager le Livre et la Foi si bien qu’en guise de reconnaissance de la part du Messager - paix et bénédictions sur lui - de ce bienfait divin, celui-ci garda sa Foi et honora son Coran ; il vécut par eux et pour eux, se battit et fit la paix pour eux. Ses ennemis aurait tant souhaité qu’il leur fasse la moindre concession mais en vain ! "Ils aimeraient bien que tu transiges avec eux afin qu’ils transigent avec toi." [18] La nation (ummah) qui mérite de s’en réclamer est celle qui lutte pour la vérité et ne permet pas qu’elle soit outrepassée. Cette nation se caractérise aussi par une idée et une méthodologie. Elle se fonde matériellement et moralement sur les efforts qu’elle fournit dans ce sens et les fruits qu’elle fait pousser.
A suivre...
Traduit de l’arabe du livre de Sheikh Muhammad Al-Ghazâlî
intitulé Fiqh As-Sîrah, éditions Ar-Rayyân Lit-Turâth, première édition, Le Caire - Égypte, 1987.
[1] Hadîth authentique rapporté par Muslim (7/49), Ibn Mâjah (2/410) selon Abû Hurayrah et également selon Ash-Sharîd. Ce hadîth constitue la fin du hadîth suivant.
[2] Hadîth authentique rapporté par Muslim et Ibn Mâjah.
[3] Sourate 28, Le Récit, verset 86.
[4] sourate 25, Le Discernement, versets 32-33.
[5] Sourate 36, Yâ sîn, versets 77 à 82.
[6] Sourate 67, La Royauté, versets 28 - 29.
[7] Sourate 5, Les Bestiaux, versets 161 - 164.
[8] Sourate 13, Le Tonnerre, verset 16.
[9] Sourate 33, Les Coalisés, versets 1 - 3.
[10] Sourate 28, Le Récit, versets 87 - 88.
[11] Sourate 15, Al-Hijr, verset 88.
[12] Sourate 18, La Caverne, versets 28 - 29.
[13] Sourate 10, Jonas (Yûnus), versets 94 - 95.
[14] Sourate 39, Les Groupes, versets 65 - 66.
[15] Sourate 10, Jonas (Yûnus), versets 94 - 95.
[16] Sourate 43, L’Ornement, verset 81.
[17] Sourate 2, La Génisse, verset 120.
[18] Sourate 68, La Plume, verset 9.